À quand un ménage en éducation?

Réponse à la promesse d’augmentation de salaire des enseignants de Philippe Couillard

Philippe a huit ans. Sa mère lui demande de faire le ménage de sa chambre. Pour pouvoir aller jouer avec ses amis plus vite et que maman soit contente, il cache tout sous son lit.

Dix minutes plus tard, maman entre dans sa chambre et le félicite! La chambre de Philippe est impeccable!

Tout le monde est content pour l’instant. Maman voit combien la chambre est propre. De la poudre aux yeux… Le petit Philippe peut sortir jouer avec ses amis.

Mais il va falloir qu’il le fasse quand même le ménage, un moment donné!

Quand vas-tu faire ton ménage, Philippe?

Une promesse d’augmentation de salaire

La semaine dernière, Philippe Couillard nous promettait d’augmenter le salaire des enseignants.

Pourtant, quand on regarde un peu les faits, est-ce vraiment une augmentation de salaire?

Article expliquant l’augmentation de salaire par Vincent Maisonneuve, sur le site de Radio-Canada

À partir de l’année scolaire 2021-2022, ce sont seulement les enseignants ayant quatre ans d’expérience ou moins, qui verront leur salaire augmenter. 75% des salariés enseignants ne bénéficieront pas de cette promesse.

La raison? Encourager les jeunes à rester dans la profession.

Hum… Est-ce que vraiment cette mesure nous aidera à garder les jeunes enseignants dans nos écoles?

Est-ce vraiment ça, la base du problème en éducation? Le salaire du début de carrière?

Est-ce que Philippe est en train de cacher ses jouets sous son lit?

Je ne veux pas d’un plus gros salaire.

Oui. Tu as bien lu. Je ne suis pas intéressée par une méga augmentation.

Je vais peut-être me faire lancer des roches par certains de mes collègues enseignants en avouant ceci. Mais, mon salaire, je le trouve bien correct. Même si, cette année, à ma 17e rentrée scolaire, je n’ai eu pas d’augmentation comme mes collègues plus jeunes.

Je vis bien. Très bien. J’ai une maison. Une voiture. Je ne stresse jamais au fait d’être capable de mettre de la nourriture sur ma table ou d’acheter des vêtements à ma fille. Je ne me considère pas comme riche, mais je suis capable de me payer du luxe de temps à autre. Un petit voyage par année avec ma famille. Des sorties au resto.

Le problème n’est pas mon salaire. Mais plutôt mes conditions de travail.

Conditions qui font que plusieurs de mes collègues partent en congé de maladie. Ou lâchent carrément la profession.

Est-ce que les jeunes enseignants vont tout à coup endurer ces conditions parce qu’ils ont quelques dollars de plus dans leur poche à chaque deux semaines?

Faire le ménage de sa chambre correctement

Si le problème numéro un n’est pas mon salaire, quel est-il?

Le manque de ressources!

Personne n’est surpris. Je le sais bien. Je me doute aussi que Philippe Couillard le savait lorsqu’il a promis cette hausse de salaire qui ne touchera que 25% des enseignants.

Mais pourtant, on manque de TOUT!

Manque d’intervenants pour nous aider en classe.

Manque de matériel pédagogique et informatique. Pour pouvoir diversifier notre enseignement. Pour s’adapter aux différents besoins de nos élèves qui ont des plans d’intervention.

Manque de formations pour nous aider avec la clientèle qui a grandement changé dans les dernières années.

Manque de psychologues, d’orthophonistes, de professionels, pour évaluer les élèves afin que l’on puisse mieux répondre à leur besoin.

Manque de temps pour enseigner. Parce que nous avons trop d’élèves en classe. Parce que l’on intègre des enfants ayant de grandes difficultés d’apprentissage ou de comportement dans nos classes régulières, sans nous donner les ressources matérielles ET humaines pour nous aider.

Devrait-on demander aux élèves ce qu’ils veulent pour leur éducation? Lire ma réflexion sur ce sujet.

Manque de meubles pour nos classes, pour pouvoir intégrer de nouvelles façons d’enseigner. Oui! Enseigner autrement pour s’adapter aux besoins de nos élèves.

Manque d’enseignants qualifiés. Manque d’enseignants tout court!

Article de Sara Champagne de La Presse sur le manque d’enseignants à la rentrée sur l’île de Montréal

Manque. Mais aussi PLUS!

Tous ces manques dans nos conditions de travail sont jumelés à plusieurs augmentations. Et je ne parle pas de salaire ici.

De plus en plus d’élèves codés ou en difficultés dans les classes.

De plus en plus de formulaires à remplir, de téléphones à faire, de rencontres à assister, pour obtenir un peu d’aide pour chaque élève qui en a besoin. Une bataille de tous les jours!

De plus en plus de temps pour trouver ou créer des activités pédagogiques adaptées pour les élèves qui ont des plans d’intervention.

De plus en plus d’élèves avec des problèmes de comportement.

De plus en plus de dépressions.

De plus en plus de décrochage… de la part des enseignants!

Une augmentation de salaire. Est-ce vraiment ce dont on a besoin?

Et oui! Dans un monde idéal, on aurait droit aux deux: une belle augmentation de salaire ET de bonnes conditions de travail.

Mais, moi aussi, je gère un budget, bien que plus petit! Et je comprends très bien que l’on doit choisir nos priorités. Mes conditions de travail sont étroitement liées à la qualité du temps passé en classe pour les enfants.

Tu me donnes ce qui me manque? Je risque de pouvoir encore mieux faire mon travail. Et ce sont les enfants, nos futurs citoyens, qui en bénéficieront.

Tu me donnes une augmentation de salaire? Mon travail sera toujours aussi difficile. Les élèves ne verront aucune différence. Nous aurons toujours les mêmes besoins. Les mêmes manques.

C’est facile de choisir ce qui devrait passer en premier, non?

On cache tout sous le lit? Ou bien, on fait un vrai ménage?

Fais le ménage de ta chambre comme il faut s’il-te-plait, Philippe. Fais-nous des promesses qui vont vraiment changer notre système d’éducation.

C’est de l’avenir de toute une génération dont il est question.

Écrit par: Isa Belle

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